Le Dieu de la vie

Genèse 22.1-14 : La ligature d'Isaac


Ce récit de la tentative de sacrifice d'Isaac par son père Abraham aurait sans doute fait la une des journaux à sensations, si ceux-ci avaient existé. Si nous lisons ce texte comme un événement historique, comme le film raconté par un observateur extérieur, alors il y a de nombreux éléments dérangeants, interpellants : qui est donc ce Dieu qui a promis à Abraham une descendance si nombreuse qu'elle ne pourrait être comptée (Gen. 16.10), et qui réclame ce fils unique en sacrifice ? Abraham obéit, sans crier sa douleur, sans se révolter, sans même tenter de "négocier". Et Sarah, la mère, où était-elle ? C'est la grande absente de ce récit. Il me semble évident que des parents auraient été horrifiés par de tels propos, même venant de Dieu.

L'histoire se poursuit : Isaac demande à son père où est l'agneau pour le sacrifice. Son père lui répond : "Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même…" (Gen. 22.8) En d'autres termes, il répond : tais-toi et marche ! Arrive le moment où Abraham attache son fils unique et celui-ci ne se débat pas, il ne lutte pas, il ne cherche pas à fuir… Et enfin, comme dans les contes de fées, au moment suprême, au comble du suspens, un ange providentiel descend du ciel et arrête Abraham dans son geste. Et, comme par magie, il y a là un bélier que personne n'avait remarqué ou entendu avant, qui servira d'holocauste.

Vous le voyez, en essayant de reconstituer ce récit, on est en butte à des incohérences, parce que le sens de ce texte n'est pas à trouver dans une description fidèle de ce qui s'est réellement passé, mais plutôt dans une allégorie.

Dans ce récit, à première vue tragique, il y a une constante : la parole de Dieu. La parole que Dieu adresse aux hommes. Yahvé, le Dieu d'Abraham, s'abaisse à parler à son serviteur et celui-ci répond, il se met à l'écoute. C'est aussi par la parole, et non par le geste, que l'ange arrête le bras du père sur le point de sacrifier son fils. Ainsi, ce Dieu autre est au cœur même de l'humanité par une parole qui met en marche, qui exhorte à quitter ses certitudes et son confort. pour se mettre en danger. La présence est manifestée par la Parole adressée aux hommes.

Contrairement aux dieux des peuples avoisinants, Yahvé n'est pas un Dieu qui réclame du sang, qui ne se délecte pas de chair fraîche. C'est le Dieu de la vie, c'est la source de la vie. Abraham est parti à Morija avec la conviction de revenir seul, et voilà qu'il reviendra avec son fils bien vivant. Abraham a mis toute sa foi dans ce Dieu-là, persuadé que le destin de chaque homme est placé entre Ses mains. Si Yahvé demande Isaac en sacrifice, c'est que cela entre dans le plan qu'Il a pour Abraham et son fils et l'homme se doit d'obéir, de ne pas contrecarrer la volonté divine. "Dieu pourvoira" répond Abraham.

Dans ce texte, il est fait aussi mention d'une longue marche de trois jours, habités par la mort. Pendant cette marche, Abraham sait qu'il s'approche, un peu plus à chaque pas, de la mort de son fils. Il ne renonce pas, il ne cherche pas à fuir. Il trouve prétexte pour laisser les serviteurs au pied de la montagne (Gen. 22.4-5).

Dans cette période de Carême, qui nous conduit inexorablement vers Vendredi Saint, il y a aussi de cette marche vers la mort. Comme Abraham, Jésus, le Fils unique de Dieu, marche à la rencontre de la mort, d'une mort infamante, car, comme Isaac, il n'a rien fait pour mériter pareil destin. A la différence du texte de Genèse, il n'y aura pas d'ange salvateur pour venir arrêter le supplice du Christ… En tout cas, pas avant le matin de Pâques.

Dieu, notre Dieu, est un Dieu de vie ! Il est celui qui, par sa parole, habite notre quotidien et nous rejoint, aussi et surtout dans les moments les plus sombres de notre existence. Dieu mit Abraham à l'épreuve non pas tant pour jouer avec sa foi, mais pour lui prouver que Lui, Yahvé son Dieu, était à ses côtés et qu'Il avait le pouvoir de réaliser ses promesses, que la postérité promise ne serait pas anéantie à la première génération. Mais que, plaçant toute sa confiance dans ce Dieu-là, Abraham avait fait le choix de la vie, de la source de la vie.

En conclusion, la ligature d'Isaac, car il n'y a pas eu de sacrifice humain, nous montre combien Dieu est attaché à la vie de ses enfants, combien il pourvoit à nos manquements, à nos vides. Comme Abraham entendit la voix de l'ange et garda son bras levé, nous aussi, nous avons à tendre l'oreille, à écouter l'envoyé de Dieu, celui qu'Il place sur notre route. Alors que tout semble perdu, joué d'avance, voilà qu'un nouveau rebondissement vient donner une orientation inattendue au cours de la vie ! Vie. Dieu est Vie, il est celui qui a le pouvoir de donner la vie, une vie qui a un sens. Vie. Dieu est celui qui réveillera son Fils au matin de Pâques, prouvant ainsi que la mort ne sera jamais la plus forte.

Amen.


Source de l'image : photo personnelle (c) décembre 2007.

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