Evangile selon Matthieu, ch. 5, v. 1-10
Ils sont heureux (aujourd'hui), parce qu'ils verront (demain)
J’aimerais commencer par tordre le cou à une idée fort répandue, aujourd’hui : le bonheur ne signifie pas l’absence de difficultés. Non, le bonheur ne signifie pas l’absence de difficultés. Les revues de psychologies de toutes sortes nous entraînent dans une course effrénée au bonheur… disons béat, naïf. Le bonheur, ce n’est pas de vivre dans un monde idyllique où il n’y a plus de crises, de souffrance, de difficultés.
Le bonheur, c’est trouver, là
où nous sommes, ici et maintenant, des raisons, une raison au moins, de ne pas
tomber dans la résignation ambiante.
Et c’est bien à cela que Jésus
invite ses disciples d’abord et les foules qui sont venus l’écouter. Et nous
qui lisons, qui écoutons.
Jésus est au début de son
ministère. Il a choisi ses premiers disciples et il leur donne ici son premier
enseignement sous la forme d’un long discours, connu sous le nom du
« Sermon sur la montagne ». Cet enseignement est introduit par un
mot, un seul : heureux !
C’est un appel au bonheur.
Mais Jésus n’est pas
naïf ! Il sait que le monde des disciples et des foules, ce monde où il
proclame une bonne nouvelle, n’est pas exempt de difficultés. Il sait sans
doute aussi que l’avenir, le sien comme celui des disciples et des foules, sera
pavé d’incertitudes, de doutes, de difficultés. Jésus met bien en évidence une
réalité de maintenant et une promesse à venir : Heureux ceux qui pleurent maintenant, ils seront consolés dans le
Royaume de Dieu. Heureux ceux qui
sont doux aujourd’hui, ils hériteront la terre bientôt. Heureux ceux qui cherchent la justice, ils la trouveront en
abondance dans le Royaume de Dieu. Heureux
ceux qui font preuve de miséricorde, ils la recevront eux aussi de Dieu. Heureux les cœurs purs, ils auront cet
honneur de voir Dieu et Heureux ceux
qui procurent la paix, ils seront appelés fils (et filles) de Dieu.
Tous ces gens sont désormais heureux, parce qu’ils reçoivent la
promesse et la certitude que Dieu ne les oublient pas ; que Dieu se penche
sur eux, qu’il tourne son regard vers eux. Leur bonheur est tendu vers
l’avenir, même si leur présent est empreint de tristesse et d’injustice et si
leur comportement les fait passer pour de doux rêveurs ou des utopistes !
En méditant ce texte, il m’est
venu l’image du caméléon. Vous savez cette sorte de lézard. Vous me direz
sûrement : qu’est-ce qu’un caméléon a à voir avec les Béatitudes ? Et
bien le caméléon a une caractéristique. Bien qu’il soit capable d’adapter la
couleur de sa peau à son environnement pour passer inaperçu et éviter les
proies, j’aimerais attirer votre attention sur une autre de ses
caractéristiques : le caméléon est capable de regarder dans deux
directions simultanément ; ses yeux sont dissociés. Ainsi, il lui est
possible de regarder devant et derrière en même temps ; en haut et en bas, en
même temps. C’est assez impressionnant d’observer cet animal.
Et bien, Jésus nous invite à
être des croyants comme ce caméléon, à regarder dans deux directions en même
temps. Regarder et vivre le moment présent, être dans le monde, avec ses
moments joyeux et lumineux, mais aussi ses temps difficiles, ses crises et ses
ruptures. Là, on porte son regard vers le bas. Et en même temps, porter son
regard vers le haut, l’avenir, cet avenir promis par Jésus-Christ.
Toute la difficulté réside
dans le fait de ne pas perdre de vue ces deux horizons. Se focaliser sur le
monde, c’est oublier que Dieu, par son Fils, nous a fait la promesse d’un monde
meilleur où la joie, le bonheur et la justice auront toute leur place. C’est
tomber dans le défaitisme et la résignation. Fixer uniquement le ciel et
l’avenir, c’est se réfugier dans une promesse en oubliant que celle-ci
s’enracine déjà dans notre présent. C’est friser le rêve et l’utopie.
Etre un croyant caméléon,
c’est porter son attention à la fois sur notre aujourd’hui et notre demain et
c’est ainsi que nous découvrirons le bonheur là où on ne l’attend pas ou plus,
là où tout nous pousse au désespoir.
C’est encore découvrir qu’il
vaut la peine de tendre au bonheur, de le chercher, de le débusquer là où les
difficultés surgissent, parce que c’est ainsi que nous pourrons les traverser
avec confiance.
Le bonheur ne signifie pas
l’absence de difficultés, c’est vivre d’une promesse et pas n’importe laquelle,
celle de Dieu. Regarder à la fois ici et maintenant et plus tard, plus loin.
C’est regarder notre monde tout en fixant l’avenir promis de Dieu. C’est être
dans le monde, car c’est bien là que nous vivons, sans être du monde, car c’est
refuser de tomber dans le défaitisme ambiant. C’est ainsi peut-être, sûrement,
que nous saurons dénicher le bonheur aujourd’hui déjà.
Amen.
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